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Monday, August 31, 2020

Epopée de l'œil : un poisson cavernicole du Mexique devenu aveugle - Le Monde

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« Astyanax mexicanus », habitant des rivières (en haut) et son cousin, qui a colonisé des grottes et est devenu aveugle.

C’est une expérience d’évolution accélérée grandeur nature. Le « cobaye », ici, est un petit poisson mexicain, Astyanax mexicanus. Il existe sous deux formes. L’une vit dans des rivières de surface. L’autre, découverte en 1936, colonise des grottes, où il vit dans une nuit permanente. « On a d’abord cru qu’il s’agissait de deux espèces différentes. Puis on s’est aperçu que le poisson de surface et son homologue cavernicole peuvent se croiser : leur descendance est fertile », raconte Sylvie Rétaux, du CNRS à l’Institut des neurosciences Paris-Saclay. Ces deux formes dérivent d’un même ancêtre qui vivait en surface il y a vingt mille ans. « La magie de ce modèle, c’est que nous pouvons comparer ces deux formes », se réjouit-elle.

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En l’espace de vingt mille ans – le temps d’un éclair, à l’échelle évolutive –, le poisson cavernicole, dans l’obscurité des grottes, a développé de nouveaux caractères. Comparé au poisson de surface, il a perdu son agressivité et ses comportements sociaux (la nage en bancs). Ses capacités olfactives se sont démultipliées, tout comme sa faculté de détecter des changements de pression dans l’eau (grâce à des neurones ciliés) : il peut ainsi déceler des proies tombées dans l’eau. Et puis, il est devenu aveugle.

Différentes populations

« Etonnamment, l’embryon cavernicole commence par développer des yeux de taille réduite. Puis, au stade larvaire, ces yeux dégénèrent en kystes », raconte Sylvie Rétaux. Au Mexique, différentes populations de ce poisson vivent, quasiment sans se mélanger, dans une trentaine de grottes. Toutes sont dépourvues d’yeux. Si on les croise, on obtient parfois des poissons dotés de petits yeux. Ces croisements compensent donc en partie les effets de ces mutations. « Cela veut dire que des gènes différents ont muté, dans ces différentes populations », analyse Sylvie Rétaux. En réalité, la perte de ces yeux dépend d’au moins douze à quinze gènes. L’un d’eux vient d’être découvert : c’est le gène cbsa. Quand il est muté, le flux sanguin irriguant le tissu censé donner l’œil est stoppé. D’où l’atrophie de cet œil, montre un article publié le 2 juin dans Nature Communications. Fait notable, des mutations de ce même gène provoquent chez l’homme une maladie métabolique héréditaire rare, l’homocystinurie. Les patients souffrent d’un déficit visuel et ils ont un risque accru d’accidents hémorragiques cérébraux et d’infarctus.

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Ce modèle-poisson livre deux enseignements, valables pour tous les vertébrés. D’abord, il montre que « la formation des yeux, chez l’embryon, est indispensable au développement normal de l’ensemble du cerveau », relève Sylvie Rétaux. Elle provoque en effet un mouvement coordonné des tissus, nécessaire au bon déroulé du processus de développement de l’ensemble de la tête. Seconde leçon : des équilibres se créent, chez l’embryon, entre les tissus qui donneront les yeux et ceux qui donneront les autres systèmes sensoriels. Si l’œil est atrophié, le système olfactif prendra plus d’importance, par exemple. Par conséquent, « ce sont les mêmes voies de signalisation qui contrôlent le développement de ces différents systèmes ». Dernière curiosité : ce poisson cavernicole a quasiment perdu le sommeil. Logique, au fond. N’a-t-il pas quitté le lit des rivières ?

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August 31, 2020 at 06:59AM
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